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Cette nouvelle rubrique est ouverte à quiconque écrit ou a écrit sur la vie locale, et désire partager une tranche de vie, quelques anecdotes, ou une histoire particulière concernant la vie à la Chapelle Basse-Mer ou Barbechat.

Vous vous sentez une belle plume ? Vous connaissez quelqu'un qui a des écrits intéressants à partager, concernant l'histoire locale ? Contactez-nous par email à patrimoinechapelain@gmail.com et nous étudierons la possibilité de publier ce texte sur ce site. Plusieurs témoignages sont actuellement en cours de validation (d'accord écrit avec l'auteur). N'hésitez pas à venir découvrir... nos propres découvertes !

Pour démarrer cette nouvelle rubrique, nous sommes très content de publier aujourd'hui (février 2024) un beau texte, écrit d'abord pour la propre famille de son auteur, mais qui dès la lecture par deux ou 3 membres de l'association du Patrimoine (dont vous êtes sur le site) a paru très intéressant à faire partager au delà du cercle familial.

Une belle analyse descriptive, humaniste, pleine du bon sens paysan cher à Claude Michelet, et dépourvue de nostalgie. C'était comme ça en ce temps là. Point.

Je vous laisse découvrir ce texte, après un positionnement géographique sur le village de la Bréhardière...

Merci à Paul Chevalier, à Michelle Goalec pour l'aide précieuse à la fois relationnelle et dactylographique, l'original étant un manuscrit...

Pierre Saunière

carte de la Bréhardière

Nota : le texte ci-dessous étant assez long, vous pouvez l'imprimer à partir du pdf ci-joint :

Chevalier

Paul Chevalier

Evocation des origines et modes de vie dans mon enfance à la Bréhardière où je suis né.

Regards rétrospectifs sur la famille Chevalier Paul, depuis le siècle dernier à ce jour.

 

La Bréhardière

Oui, la Bréhardière,.. Moi, Paul Chevalier, c’est le village où je suis né il y a maintenant plus de 80 ans, dans une famille paysanne, c’est-à-dire là où l’on gagnait son pain à la sueur de son front, en travaillant les champs pour y faire les récoltes nécessaires à la vie des gens et des animaux. Dans cette petite ferme, mon père Paul y était né, sa maman aussi. Le grand-père de son mari dont je porte le nom était originaire d’un village près du bourg de Champtoceaux, nommé la Patache et son père est né à la Chevalerie au Loroux-Bottereau. 

Ceci pour affirmer que mes racines familiales et sociales sont bien localisées, au point que ces lieux m’ont façonné d’une telle manière que, si j’étais né ailleurs sans pour cela aller bien loin, me donne l’impression avec le recul dans l’existence, que je n’aurais pas été le même homme.

Et cela bien sûr, à l’insu de cet environnement qui n’exprime rien par lui-même, parce qu’il est muet. Mais cela fut aussi à mon insu, n’en prenant conscience maintenant, qu’avec l’accumulation des ans, le révélateur récent, pour avoir pris la décision de faire un récit de mes origines familiales, sociales et locales à l’intention de nos enfants, petits enfants et arrière petits enfants : ce dernier cas ayant actuellement un an , c’est une petite fille au beau prénom d’Héloïse.

Les anecdotes que je veux relater seront dans l’esprit d’être aussi précises que possibles sans aucun enjolivement dans leurs expressions.

 

La Bréhardière, le village de Paul Chevalier

La Bréhardière, le village de Paul Chevalier

Une jeunesse à la Bréhardière

Chaque jour qui passe nous éloigne de celui qui nous a vu naître et, avoir 80 ans et plus, nous fait sentir combien sont précieux ceux qui nous restent à vivre, sans pour cela en connaître le nombre, mais là n’est pas l’essentiel. Ce qui importe, c’est que ceux que l’ont a vécus ont contribué à une histoire, la nôtre parmi d’autres ; elle est la suite d’autres qui, petit à petit, s’estompent des mémoires au point d’être ignorées des générations futures si nous ne faisons pas l’effort de la transmettre.

En ce qui me concerne, moi, Paul, qui suis né dans la première moitié du siècle dernier en 1937, (elle) mon histoire n’a rien d’extraordinaire en soi, mais elle est, il me semble entre deux périodes importantes de l’Histoire de l’Humanité : celle qui se vivait depuis des décennies sinon plus, à un rythme disons plus lent, à l’exemple des déplacements pédestres pour des besoins vitaux, et celle qui se vit en ce début du XXIe siècle.

 

Dans le domaine de la vie contemporaine, rien n’est comparable à celui où j’ai vu le jour, avec les nuances de la condition sociale des origines qui elle, permettait pour certains de vivre sans soucis majeurs et souvent au détriment de ceux qui n’avaient pas pu ou pas su saisir les opportunités de leur époque. Cela ne veut pas dire que le principe a cessé, il est utilisé d’une autre manière pour parvenir à la même finalité et même s’amplifier.

Ces changements qui se sont produits en si peu de temps par rapport aux siècles précédents, occultent la vie quotidienne de ceux qui nous ont précédés directement en remontant de quelques générations.

Les différentes sources d’énergie et les moyens utilisés pour les maîtriser, ont favorisé cet essor vers un mode de vie plus enviable sous multiples aspects, sans pour cela éviter les disparités qui, elles, je pense, ne cesseront jamais.

Mon origine sociale n’était pas celle des dominants à bien des égards, tant au point de vue possessions de bien ou de possibilités intellectuelles, en plus d’une condition physique qui est à l’opposé des personnes de hautes statures en ce qui me concerne ! Ce que je retiens de cette origine, c’est une certaine fierté d’esprit qui permet malgré tout, d’avancer pas à pas pour éviter de sombrer et perdre confiance en soi.

Les paysans cultivaient quelques parcelles de terre qui étaient la propriété d’un noble des environs. Les conditions d’exploitations étaient difficiles, dues d’une part à la petitesse de ces dites parcelles très pentues, leur éparpillement, le voisinage avec d’autres exploitations où chacun tenait à ses terres comme à la prunelle de ses yeux, sans se poser la question de ce qui aurait pu être amélioré. Certains cultivaient les terres dont ils étaient propriétaires et d’autres étaient fermiers, tel est le cas de ma famille.

Les différentes narrations relatives à ma famille auront à être interprétées hors d’un ordre très précis dans leurs déroulements, il y aura un tout approché mais pas obligatoirement bien discerné, des omissions non voulues, des formulations insuffisamment concises dues à mes limites personnelles etc…

Pour ce qui est de définir la localisation d’origine de la famille à laquelle j’appartiens, elle se situe aux limites de l’Anjou et de la Bretagne, rive gauche de la Loire, sur un territoire de quelques communes (des recherches généalogiques pourraient apporter plus de précisions à ce sujet) mais pour la présente démarche voulue de ma part, ce n’est pas l’objectif principal.

Le but est d’un autre ordre, il est de faire mémoire d’un passé qui nous touche de près, nos racines locales et familiales. Il est dit que toute vie, relative à chaque humain avec son histoire singulière, est lors de sa mort, comme un livre qui ne sera jamais rouvert… 

Le lieu et autres descriptions voulues pour ce qui fait le mobile de ces écrits se situeront dans la commune de la Chapelle-Basse-Mer. Le village de la Bréhardière se situe aux limites Nord-Nord-Ouest de la sus dite commune dans le département de la Loire Inférieure (dénomination de l’époque) aux confins de l’Anjou tout proche, ce département étant le Maine-et-Loire ; cette première commune angevine se dénomme La Varenne. Le village natal et ce bourg angevin n’est distancié que d’un kilomètre environ à vol d’oiseau, alors que le bourg de la commune natale est éloigné de plus de 4 kilomètres. L’école qui m’a permis d’acquérir un peu de savoir, m’y a accueilli jusqu’à mes quatorze ans. A ce trajet, durant toutes mes études scolaires, qui furent les seules, beaucoup de souvenirs y sont rattachés, ainsi que des traces sur le corps, peut-être en reparlerai-je.

Entre ce qui vient d’être décrit sur le plan géographique du village, des communes et des départements, il y a une petite rivière qui fait la limite naturelle de ces différentes localités : on l’appelle la « Divatte », large d’environ une dizaine de mètres et peu profonde, elle canalise l’eau de toute une région sur plusieurs kilomètres, son parcours est très sinueux, dû à une topographie des coteaux environnants très vallonnés. La hauteur depuis là où s’écoule l’eau et le haut du coteau où est bâti le village de la Bréhardière, est de l’ordre d’une centaine de mètres. Les versants opposés sont abrupts, y poussent des bois de toutes sortes avec des ronciers rendant les lieux difficilement accessibles sauf pour la faune sauvage, telle les renards, blaireaux, martres, fouines, lapins de garenne. Les poulaillers des fermes des parages avaient souvent à souffrir de la visite de ces prédateurs du monde de la nuit qui, le jour levé, allaient digérer dans leurs fiefs les fruits de leurs intrusions nocturnes.

 

Paul Chevalier enfant à la Bréhardière

L'auteur de ce récit dans sa prime enfance

Une vie paysanne

A cette époque, chacun avait son petit cheptel de volatiles, oies, poules, canards, parfois pigeons, variant le menu qu’était le porc, plus communément appelé le cochon, ce dernier étant l’apport alimentaire le plus utilisé au cours de l’année.

Sa conservation se faisait dans un récipient qu’on appelait le “charnier", avec un apport de sel marin imbibant et couvrant tous les morceaux importants de l’animal qui étaient ensuite cuits selon les besoins, après dessalement, dans une marmite accompagnés de légumes de saisons, choux carottes poireaux navets etc…consommés soit chauds ou refroidis aux repas (du midi) suivants.

Le repas du soir était fait de légumes ; ce repas débutait par une soupe avec le bouillon des légumes dans lequel étaient mis à tremper des morceaux de pain dur avec un peu de lait pour rendre le goût plus agréable, surtout pour nous les enfants ; on nous disait souvent : mange ta soupe si tu veux grandir ! Car il fallait vider son assiette si on voulait la suite. Quelquefois, ça rechignait mais on ne nous cédait pas !

 

Cette période de ma petite enfance était celle de la guerre 39-45, beaucoup de denrées alimentaires étaient absentes sur nos tables de campagnes : le fromage, le chocolat, le café, le riz. Si les parents les connaissaient, pour nous les enfants elles n’avaient pas d’existence, sauf pour ceux qui avaient des relations leur permettant d’acquérir à des prix prohibitifs ces produits et encore… Lorsqu’il y avait des fruits, fraises, coings, pommes, à condition d’avoir du sucre, les confitures variaient le menu des tartines. Beaucoup de produits de base du commerce étaient rationnés par des tickets attribués aux familles selon la situation familiale, les familles nombreuses avaient des priorités.

Pour ce qui était du pain, nous n’en avons jamais manqué vraiment. Par un système de troc, ceux qui récoltaient du blé en portaient au meunier, et selon la quantité fournie, il définissait la quantité de farine à donner au boulanger où chaque famille s’approvisionnait en pain. Au passage, il prenait une quantité de cette farine pour son compte en paiement de son travail.

Il en était de même pour le boulanger. Ça lui donnait la possibilité de fournir une quantité de pain au prorata de la quantité de farine fournie, il se réservait une quantité de farine pour le paiement de son travail et le coût de la cuisson. Ce système avait l’avantage pour ceux qui ne récoltaient pas de blé de pouvoir se procurer du pain moyennant argent.

 Pour les paysans, ces différentes transactions ou troc, se faisaient sans manipulation d’argent et pour régir ce principe, il y avait un procédé bien imaginé au niveau du boulanger, c’était celui qu’on appelait la “coche".

Cette coche était réalisée avec un morceau de branche de noisetier, arbuste que l’on trouve abondamment dans la région. La branche choisie était une jeune pousse vivace, effilée et rectiligne dont la grosseur ne dépassait guère les trois centimètres de diamètres. Cette branche était coupée par bouts d’environ 50cm. Sur ce petit élément, une incision était faite à la scie a 10cm d’un bout à mi-épaisseur. A l’autre extrémité, il suffisait de placer un outil contondant sur le bout et de frapper l’outil avec un marteau pour fendre ce morceau de bois jusqu’à l’incision faite à la scie. Ce bois se fendait très bien, sans bavures, ce qui permettait ensuite que le boulanger possède une partie de ce bois fendu, l’autre partie étant en possession de celui qui avait fourni le blé, le paysan.

A l’époque, on ne trouvait en boulangerie que le pain de trois livres ou celui de six livres. (une livre : 500 g).Il n’était nullement question de baguettes ou autres dénominations de ce genre, comme actuellement. Le pain était la base principale de la nourriture. Donc, lorsqu’on allait chercher son pain à la boulangerie, toujours la même, il ne fallait pas oublier la coche, c’est-à-dire le morceau de bois qui allait rencontrer son frère à la boulangerie. La boulangère appliquait notre coche avec celle qu’elle avait à notre nom, de sorte qu’elle s’ajustait parfaitement, elle faisait avec un couteau, sur le coté des éléments rassemblés, une grosse entaille pour le pain de six, une petite pour le pain de trois, ainsi était comptabilisé le pain pris au prorata de la farine fournie, jusqu’à épuisement de la quantité convenue.

Les preuves étaient indéniables pour les protagonistes, de plus, nul ne pouvait se servir de la coche de son voisin, les deux éléments se seraient mal ajustés. Donc, une manière de faire qui évitait les dettes chez le boulanger, permettant aux autres habitants hors paysans, moyennant argent, d’avoir du pain sur leur table. Cela était une entraide anonyme qui ne veut pas dire gratuite, la part de sacrifices n’était pas exclue non plus, l’obligation de s’approvisionner au même boulanger était de rigueur pour le paysan et chacun avait à cœur d’être fidèle à ses engagements.

Quand, nous les enfants avions acquis la force et l’âge d’avoir des responsabilités, le jeudi, jour sans école à l’époque, était dans nos attributions d’aller chercher le pain au bourg de la Varenne, chez le boulanger attitré, en rapportant (transportant) dans un grand sac blanc sur notre dos, la quantité, selon les besoins, recommandé par la maman au départ de la maison.

La boulangère pesait les pains entiers et complétait par un morceau ce qui manquait au poids de six livres ou trois livres, ce morceau s’appelait la “pesée."

Je peux vous dire que de retour à la maison, cette pesée était moins grosse qu’au départ, la tentation de pain frais nous ouvrait l’estomac en cours de trajet, mais nous n’étions pas réprimandés pour cela, c’était un peu notre récompense.

Ce long paragraphe était nécessaire pour décrire la part importante que cela impliquait pour se nourrir, du fait de la pénurie avant et après la guerre. Il a fallu plusieurs années pour que l’économie puisse redémarrer et reprendre un sens plus équilibré. Ces années d’occupation allemande avaient désorganisé la société française, beaucoup de soldats avaient été tués ainsi que des civils. Des jeunes adultes avaient été déportés en Allemagne sous le sigle STO (Service du Travail Obligatoire), certains y avaient échappé en se cachant loin de leur famille avec la peur au ventre car il y avait des français qui étaient pro-nazis qu’on appelait collaborateurs, prêts à toutes les ignominies pour dénoncer. D’autres restèrent prisonniers en Allemagne pendant cinq ans. Tout cela laissera des traces diverses à bien des égards sur la population.

La famille à laquelle j’appartenais a moins souffert de l’absence d’un homme à la force de l’âge à la maison, ni l’épouse, ni les enfants. Le papa qui aurait pu être tué ou fait prisonnier, n’a été que peu de temps absent de la ferme familiale. Quelques semaines après l’appel vers les zones de combat, il est tombé malade et fut ramené vers les zones moins engagées pour être soigné. Il était atteint par la colibacillose, je crois, ce qui a eu pour résultat d’être démobilisé définitivement et renvoyé chez lui, le service médical de l’armée pensait qu’il ne survivrait pas à son état et a préféré qu’il décède au sein de sa famille. La médecine n’avait pas les traitements nécessaires. Pour ma part, je n’ai aucune connaissance des conditions de son amélioration de santé, une fois de retour à la maison, j’étais trop jeune pour m’en souvenir ; petit à petit, il a pu reprendre ses activités. Quelques années plus tard, il y a eu récidive de la maladie ; les traitements médicaux avaient progressé depuis la première manifestation de la maladie et lui ont permis de se rétablir au bout de quelques semaines. De cette période, je m’en souviens, je devais avoir 7 ou 8 ans.

Cadre géographique, topographique, familial, social et retour sur la village de la Bréhardière.

Les villages avoisinants avaient leurs difficultés également mais là où je suis né, elles se différenciaient de plusieurs façons : La voie d’un kilomètre, depuis la route communale pour parvenir où nous habitions, était un chemin charretier qui fut aménagé en chemin vicinal l’année précédant ma naissance. Lors de premiers aménagements, cette voie fut sans doute redressée, tout en restant assez sinueuse, avec des fossés de part et d’autre selon le besoin pour écouler les eaux des terres avoisinantes ou de la voie elle-même, creusant par-ci, comblant par-là, pour la rendre plus carrossable si l’on peut dire et éviter les ornières l’hiver ; un apport de pierres a du être important, avec l’aide sans doute des villageois et leurs tombereaux tirés par des chevaux ou des bœufs.

 

Ensuite, une décision a été prise en mairie pour en assumer le coût et l’entretien par une main d’œuvre étrangère à celle des villages, sous la compétence de personnes telles que les chefs cantonniers ainsi dénommés. Tout arasement et déblaiement se faisait avec la pioche et la pelle, sans oublier les brouettes en bois qui étaient très lourdes par elles-mêmes. Les journées de travail ne se régulaient pas au niveau des horaires, c’était selon la saison d’une part, d’autre par les conditions atmosphériques qui n’étaient pas toujours favorables à la bonne exécution des travaux et bien d’autres aléas sans doute. Je n’ai pas assisté évidemment à cette réalisation, mais j’ai suffisamment d’expérience pour en décrire les contraintes les plus probantes ; à la fin de la journée, qui ne se prévalait pas sur la base des 35 heures la semaine, les œuvrants devaient en avoir “plein les bottes" le soir, ou plutôt les gros sabots de bois, les chaussures qui étaient les plus utilisées dans la région pour les raisons suivantes.

Il y avait beaucoup de zones humides dans les terres basses du fait de la proximité de la Loire et de ses petits affluents où y poussaient des arbres à bois tendre et facile à façonner tels que les peupliers et l’aulne ; les autres espèces arboricoles telles que le chêne ou le frêne étaient plus durs à travailler et avaient tendance à fendre au séchage. D’où l’implantation de petits ateliers appelés saboteries et leurs artisans, des sabotiers, utilisant ces bois tendres pour la fabrication ses sabots le long des rives de la Loire.

La Loire par elle-même, avait l’avantage, par flottaison, d’amener aussi proches que possible, les arbres débarrassés de leurs branchages pour y être débités à la longueur voulue, ceci en vue des chaussures destinées aux adultes et aux enfants, car eux aussi y avaient droit. Autre avantage du fleuve, le transport par barques vers les villes ligériennes des sabots fabriqués par les artisans locaux.

Elles furent (ces chaussures) miennes pendant de nombreuses années, sur le chemin de l’école, par temps de pluie, les pieds n’étaient pas toujours au sec !

Le dimanche pour aller à la messe, on avait des chaussures plus élégantes, si l’on peut dire, qu’on appelait des galoches, propres, cirées mais portant souvent des traces d’usure, elles se transmettaient entre frères selon les familles ou autres, membres proches, cousins, cousines car les pieds grandissaient vite avec toujours le contexte de la rareté, il fallait que les pieds s’adaptent aux chaussures.

L’allusion précédente, où le corps a souffert et gardé des traces de ces parcours, soit pour l’école ou à la ferme, ce sont mes doigts de pieds qui à force d’être serrés les uns contre les autres, ont pris la posture de se chevaucher, le mou cédait au plus dur.

Les sabots avaient cette dernière caractéristique, ils n’étaient guère transmis d’un membre de la famille à un autre pour la raison suivante : c’étaient des chaussures vite usées, le sabotier, lors de l’achat, les adaptaient à la forme de nos pieds, en largeur et en profondeur, en désépaississant les cotés avec des outils aux formes bizarres, mais très coupants ; un travail d’artiste en fin de compte mais ça marchait, il fallait bien.

Ceux qui n’ont pas vécu ces expériences auront plus de difficultés à comprendre ces réalités corporelles infligées à nos jeunes années. Autre source de désagrément, je ne sais pour quelle raison mes pieds avaient tendance à s’accrocher l’un contre l’autre, lorsque je courrais avec mes sabots ; le coté intérieur des sabots rencontrait la cheville inverse de chaque pied,, inutile de vous dire que ça saignait,, aïe aïe, aïe.. pansements et parfois à peine guéri, rebelotte ! 

Une autre particularité des sabots, c’était que l’on voulait qu’ils aient une plus longue durée d’usage : il fallait les garnir dessous, soit avec des bandes de caoutchouc fixées à l’aide de petites pointes à têtes plates, ou des morceaux de tôle, récupérés sur des boites de sardines, une fois vidées de leur contenu, ou bien encore les cabosses, clous en fer de la taille d’une noisette, ayant une pointe intégrée, permettant de les fixer sous la semelle. Belle invention qui n’était pas du goût des cyclistes de l’époque qui eux, ne ressemblaient en rien à ceux que l’on voit désormais sur nos routes. Ces cabosses, il n’y avait pratiquement que les écoliers à en avoir les chaussures garnies ainsi.

Les routes de campagnes pour les jours d’école étaient très animées le matin et le soir, pas toujours dans un rythme serein, les sabots étaient mis à rude épreuve, et les cabosses quittaient leur lit d’implantation en restant sur la chaussée, pointe en l’air, au détriment des vélocipèdes ! Le réparateur du bourg n’était pas au chômage.

Le soir, le papa devait prendre le marteau pour pallier aux défaillances ou les prévenir, ce n’était pas toujours apprécié car il avait bien d’autres tâches à remplir, mais vu l’urgence, il n’avait pas d’autre choix, ça grognait parfois…

 

Passons maintenant à un aspect moins ras de terre, c'est-à-dire au rôle de la maman ou de la grand’mère, tel était notre cas, car les différentes générations vivaient sous le même toit, chacun avait ses occupations sans pour cela s’y tenir exclusivement. Pour la maman, c’était tout d’abord les enfants, les exigences dues aux différents âges, leur propreté, l’habillage, la nourriture, le rangement dans la maison. Avant cela, elle avait trait les vaches à l’étable, qu’on appelait plus communément l’écurie, traite qui se faisait à la main assis sur un petit tabouret appelé la selle, auprès de la vache avec un seau à lait placé sous le pis et par la pression des mains sur les tétines, deux par deux et en cadence inversée, pour faire jaillir le lait dans le récipient jusqu’à ce que le pis soit vide de son contenu. L’hiver ce travail réchauffait les mains et tout le corps du fait de la proximité avec l’animal mais l’été, il y avait de quoi attraper une bonne suée avec la désagréable présence des mouches qui s’invitaient à la dégustation de quelques gouttes du précieux liquide. Par temps froid, les vaches se trouvaient en hibernation, la traite se faisait matin et soir si possible à heures régulières. 

Le papa, pendant le temps de cette traite et après avoir donné le fourrage d’hiver, foin, choux, betteraves, enlevait les excréments que l’on nomme bouses, refaisait les litières avec de la paille ainsi que d’autres tâches nécessaires à la propreté des lieux. 

Il y avait aussi le cheval, qui de son côté se manifestait pour avoir sa ration de nourriture et d’eau, le coup d’étrille surtout à la fin de l’hiver où le pelage se renouvelle ; ensuite, l’heure venue, les harnais étaient placés sur son dos pour participer à sa manière aux travaux de la ferme, à la belle saison, ce n’était pas de tout repos pour lui.

La Bréhardière, un dimanche

La Bréhardière, un dimanche

Les activités de la grand’mère, pendant le temps succédant le lever matinal, étaient plus discrètes mais très appréciées : elle préparait ce qui était nécessaire pour le repas du matin pour toute la maisonnée, ceux qui étaient à l’étable et aussi pour les enfants en âge de scolarité. Son premier geste avait été d’allumer le feu dans la cheminée ou ranimer la flamme s’il restait un peu de braise de la veille sous la cendre en ajoutant un peu de menu bois et ensuite du plus gros selon les besoins, pour la cuisson ou réchauffer les restes du repas de la veille au soir : soupe, légumes ou le café au lait , si l’épicière avait pu satisfaire ses clientes en café et chicoré, mélange porté à ébullition dans une casserole placée sur un support au-dessus du feu s’appelant le trépied, mais prononcé le troipied. Ce repas avalé assez rapidement, chacun repartait vers ses occupations. Les enfants, après leur toilette et selon leur âge, partaient à l’école pour une heure de trajet à pied, avec les recommandations de la maman et de la grand’mère, avec la musette sur le dos contenant la nourriture prévue pour le repas du midi : tartines soit avec un peu de beurre ou de la confiture, pâté maison et s’il y avait, un œuf dur, repas souvent ingurgité sous un préau ouvert à tous les vents, la serviette qui servait à envelopper ce repas frugal servait aussi d’assiette, posée sur le banc.

Au fond du dit préau, au dessus de ce banc, il y avait des crochets permettant de suspendre cette musette, le capuchon, le béret si l’on en était pourvu. Chaque gamin avait un emplacement sans que son nom y figure précisément. Ceux qui habitaient le bourg retournaient chez eux pour le repas, le trajet se faisait à toutes jambes. D’autres, dont les parents avaient fait le choix de payer la cantine préparée par la femme du directeur d’école, mangeaient dans une salle de la maison de fonction de ce directeur. Ceux qui, comme moi et d’autres élèves, mangeaient sous le préau, c’était à la suite de la décision des parents, pour des questions financières ; on comprenait, nous les enfants, assez vite, à quel milieu social on appartenait. On ne souffrait pas trop de cette situation, sauf l’hiver quand il faisait froid, la liberté et sa maîtrise avait un coût… De plus, à cet âge, on ne se posait pas trop de question, l’insouciance avait du bon.

Quand la belle saison revenait, c’était plus agréable. Lorsque le soir, la fin de la classe sonnait, c’était la ruée pour reprendre la musette, le capuchon, le béret et le chemin du retour.

Par contre, il fallait plus de temps pour parcourir la même distance, ça traînait, surtout pour les garçons qui allaient chercher les nids au printemps dans les haies qui bordaient la route et même dans celles qui étaient plus éloignées, ce qui n’était pas toujours sans conséquences en arrivant au but : les pieds mouillés, les vêtements salis ou déchirés ! On se faisait rouspéter, ou bien, la main leste de la maman faisait rougir notre épiderme charnu. Il fallait s’en souvenir si on ne voulait pas que cela se reproduise trop de fois. Ca arrivait quand même ! Apprendre à obéir avait un coût aussi ! 

Rentré à la maison, ça ne voulait pas dire pleine liberté, il y avait des leçons à apprendre et des devoirs à faire pour les jours suivants en classe. On sollicitait l’aide des parents pour réciter le peu retenu, ça accrochait ! Que de patience il leur fallait pour aider ces bambins à la tête dure.

Feu de bois, pétrole lampant : la fée électricité n’arrivera qu’en 1952

Je voudrais revenir sur l’usage du feu de bois. C’était la seule source d’énergie à la ferme, pour faire les cuissons et cela tout au long de l’année. La commercialisation du gaz à la campagne, ça n’existait pas, donc une bonne réserve de fagots de bois était à prévoir par le maître de maison ; c’était le travail des hommes les mois d’hiver, exécutés à la force des bras : haches, serpes, scies étaient les seuls outils utilisés, les tronçonneuses n’existaient pas.

L’été, l’inconvénient, c’était de rajouter de la chaleur où l’on séjournait pour les repas. Quant à l’hiver, s’il avait l’avantage de nous réchauffer, il y avait la gêne de la fumée qui emplissait l’espace de vie, la porte d’entrée devait être entr’ouverte pour que l’air soit respirable ; l’orientation des vents intervenait sur l’évacuation de ladite fumée.

L’âtre, qu’on appelait en bons paysans le "fouyer“, était conçu de sorte qu’on pouvait suspendre à la hauteur des bras les morceaux de viande de porc, destinés à être consommés fumés, les jambons, saucisses, boudins, andouilles. C’était un lieu où les mouches ne pénétraient pas à cause de la fumée et la chaleur évitait les moisissures qui pouvaient se former à la surface de la viande, tout en prenant une couleur noirâtre, grise. 

Cette forme de conservation fournissait une viande délicieuse qui m’a laissé un excellent souvenir aux papilles, les frigos ou congélateurs, ce sera pour plus tard. En plus, il aurait manqué la source d’énergie pour leur fonctionnement qu’est l’électricité. Et oui, autre raison que l’absence d’une vraie route pour parvenir à ce village, sa situation géographique décrite dans les pages précédentes ne favorisait pas l’installation du réseau électrifié. Le coût en était estimé trop élevé pour le peu d’énergie utilisée, vu le petit nombre d’habitants, en tout, une dizaine de personnes ; il fallait donc attendre les décisions d’EDF pour cet investissement peu rentable pour eux.

Par ailleurs, il n’y avait pas d’appareils utilisant cette énergie, le progrès n’avait pas le rythme qu’on lui connait maintenant ; c’est bien pour cela qu’actuellement, lorsqu’il y a rupture de cette énergie, pannes, tempêtes ou autres motifs, on se trouve désemparé et désorganisé dans nos activités.

 

Pour le quotidien des habitants, pour l’éclairage surtout l’hiver, nous avions recours soit au pétrole lampant quand on pouvait s’en procurer, soit aux bougies (ça pouvait s’appeler un dîner aux chandelles mais ça n’avait rien de romantique), soit au carbure, un minéral qui au contact de l’eau en se décomposant, dégageait un gaz. L’appareil utilisant ce gaz était une sorte de bonbonne métallique en deux éléments superposés d’une hauteur de 30cm environ ; dans la partie basse y était déposé le carbure, la partie supérieure contenait l’eau qui s’écoulait goutte à goutte sur les pierres du dessous ; un joint en cuir faisait l’étanchéité entre les deux éléments superposés bloqués à l’aide d’un écrou approprié. Le réglage du débit d’eau et du débit de gaz permettait d’allumer un bec avec une allumette. La flamme qui s’en dégageait pouvait être bleue au départ et ensuite se régler de façon plus claire, c’était une question d’habitude à acquérir… L’inconvénient de cet éclairage était l’odeur qui s’en dégageait ; pour nous qui étions accoutumés, ça nous gênait moins que les personnes étrangères, on vivait une autre expérience.

La "fée électricité", je ne l’ai pas connue durant mes études car elle n’est venue jusqu’à nous qu’au printemps de 1952 et l’école, pour moi, était terminée l’année précédente.

 

Suite à ces lignes décrivant les situations et les modes de vie que nous avions, le confort n’était pas non plus, l’apanage de tous les jours. La vie était rude mais elle ne s’apparentait pas à la vie dure du moins pour nous les enfants : nos parents faisaient ce qu’ils pouvaient pour nous aider dans le contexte qui était le notre avec les moyens dont ils disposaient ; s’il y avait des pleurs dus à une fessée méritée sans doute, il y avait les douleurs bien indépendantes de leur part, celles dues aux engelures aux mains et aux pieds durant les années scolaires.

J’étais, parmi les autres élèves, le plus affecté par ce mal quand commençaient le froid et l’humidité de la saison hivernale ; mes doigts enflaient, rougissaient jusqu’à devenir violets leur volume doublait puis la peau se fissurait laissant un liquide comme de l’eau s’écouler. Avec un mouchoir, j’épongeais doucement car les plaies, ainsi à vif, c’était douloureux à en pleurer. Il n’était pas question d’avoir des pansements, ils auraient collé aux doigts lors du retrait et devinez la suite… Pour tenir le crayon ou le porte-plume ce n’aurait pas été possible. 

Inutile de vous dire qu’écrire sur le cahier était un calvaire, surtout le matin, en entrant dans la classe, quand les mains étaient engourdies par le froid.

Porter des gants, ce n’était pas possible. Ma mère avait confectionné une sorte de moufles assez amples où tous les doigts étaient ensemble, sauf le pouce. Il y avait bien les poches de la culotte pour ne pas trop exposer les mains à l’air vif mais nous allions à cette époque à l’école en culottes courtes, des chaussettes jusqu’au genou, donc le fond des poches n’était pas très chaud vu l’air qui circulait autour des cuisses. Cela va sans dire que nous étions souvent enrhumés, le nez coulait, ça reniflait, se ressentait sur l’état général à tout point de vue. Les notes en marge des pages d’écriture n’étaient pas des meilleures. Je ne le saurai jamais, mais je pense que l’instituteur devait avoir pitié de mes “menottes". Malgré tout, en fin de compte, j’ai reçu un bon tempérament en héritage, car, parvenu à l’âge adulte, j’ai repris du “poil de la bête" comme ça se disait dans notre langage campagnard.

 

En dehors de ces descriptions faites autour de la vie à la campagne et de la période scolaire, nous avions une autre école, que l’on peut dire sur le tas. Celle-ci était plus ancienne, sans vacances mais variée dans ses devoirs : c’était l’école de la vie, une formation permanente qui évoluait au fil des années, les professeurs étaient les mêmes, une initiation depuis le plus jeune âge. Tout au début, quand on a eu l’âge de raison, on voyait ce qui se faisait autour de nous et sans vraiment en prendre conscience, ça nous influençait dans les gestes à acquérir et les comportements à avoir. Comme beaucoup d’enfants de ce temps, j’ai joué dans le tas de sable avec mes boites en fer ou en bois (les jouets en plastique, ça n’existait pas), l’imagination était mise en œuvre avec peu de choses, sans doute avec le regard amusé des parents parfois, cela les tranquillisait de nous savoir occupés ainsi. Oh, avec mes sœurs, quand elles ont commencé à participer, ça devait se chamailler, si ça durait trop, une voix puissante se faisait entendre pour remettre de l’ordre !

Puis, à mesure que nous grandissions, on nous demandait d’accomplir de petits services, ils étaient multiples au début à la maison ou autour de l’habitat puis ensuite, autour des animaux vaches, veaux, poules lapins sauf le cheval qui nous impressionnait davantage, vu sa taille. Du même coup, on acquérait le sens du danger, de la prudence, sans pour cela tomber dans le travers de la peur. Dire que tout ce qui nous était demandé de faire se faisait avec empressement, je ne le pense pas, c’était parfois oui, parfois non et pas toujours dans les règles de l’art.

Au fur et à mesure de notre développement physique, les outils de la ferme nous devenaient plus familiers par leur nom d’abord, ensuite dans la maîtrise des gestes, dans leur utilisation à condition que leur emploi ne comporte aucun risque pour l’enfant lui-même et pour ceux qui l’environnaient. Par exemple, vouloir se servir du marteau de papa : ce n’était pas la pointe qui recevait le coup, mais la main où les doigts et si la douleur était superficielle, on nous disait pour nous consoler qu’il faut bien que « le métier te rentre dans le corps ». 

Ainsi, moi le garçon, je prenais goût au maniement des outils, surtout ceux destinés autour de ce qui était en bois ; scies ordinaires, ciseaux à bois, pinces tenailles.. pas toujours à des fins utiles. Etant né auprès de cette rivière qu’était la Divatte, je me prenais d’avoir un petit bateau à faire naviguer sur l’eau, pas question bien sûr d’en avoir un tout fait, toujours pour les mêmes raisons citées ailleurs : les moyens financiers. Alors la débrouillardise.. un bout de planche plus ou moins abimée et convenant à la coque d’un bateau selon moi, ceux vus dans la Loire toute proche faisaient référence et sans pour cela les imiter totalement, des morceaux de bois rond dégottés je ne sais où pour le mât, des ficelles et un bout de tissu usagé chiné à ma mère pour la voile, des pointes assez grandes enfoncées à mi-longueur et toujours de la ficelle pour le bastingage.. et voilà, j’avais un bateau ! 

Je pouvais rêver aux voyages qui ne furent que ceux-là dans ma vie, je ne sais où ce bateau est parti, je l’ai laissé dériver dans la rivière sans plus y repenser…

 

Le voyage disons important, la seule fois que ce fut une réalité, c’était lors de la traversée de la Méditerranée depuis Marseille vers Oran, lors de la guerre d’Algérie et le retour, 28 mois après ; ces bateaux n’avaient rien à voir avec ceux qui sont construits actuellement dans les Chantiers Navals de Saint-Nazaire. Depuis ces escapades hors frontières, une soixantaine d’années se sont écoulées.

 

Maintenant revenons à nos moutons, c’est-à-dire, ce qu’à été mon enfance et une partie de l’adolescence ; après la période de l’école et les jeux, ce fut simultanément l’école et le travail à la ferme qui continuèrent à me façonner selon la croissance et la force des bras ; la croissance fut tardive dans son évolution mais, de nature assez corpulente, il est vrai que nous commencions assez tôt les efforts, la musculature se développait davantage au détriment de la croissance. Etant né de parents petits, cela ne jouait pas en ma faveur, je n’en ai jamais pris ombrage, je crois même que cela m’obligeait à réagir de la manière la plus positive possible, dans quels que domaine que ce soit, naturel, moral, intellectuel ou autre, m’obligeant à me battre de bonne heure dans les difficultés rencontrées. Cela m’a armé pour mieux faire face à l’adversité sans pour cela toujours la maîtriser, les échecs et les réussites sont peut-être ainsi nécessaire l’un, l’autre, question d’équilibre. Les coups sur le nez (au sens figuratif) ont parfois du bon, même si ça ne nous plait guère, la plus grande erreur, c’est peut-être de ne pas l’admettre, c’est un point de vue…

L’eau à la fontaine

Passons à une autre réalité contraignante de chaque jour : c’était l’eau qu’il fallait puiser à une fontaine éloignée d’environ une centaine de mètres, pour les besoins da la maison, cuissons, vaisselles, lessives, toilettes des corps, lavage des mains avant les repas dans un récipient à l’entrée de la maison. Vu les conditions de travail à la ferme, nous avions souvent les mains salies et même dès le plus jeune âge, il fallait montrer "patte blanche“ pour passer à table ; une grande quantité d’eau était nécessaire également pour la cuisson des patates pour le cochon, qui avec le petit lait issu de l’écrémage du lait en vue de la fabrication du beurre, faisait sa nourriture, à l’époque c’était du bio !

Lorsqu’elles paissaient dans les prés bordant la Divatte, les vaches pouvaient y boire ou soit dans un petit étang selon le lieu de l’herbage, l’eau n’avait pas toujours la limpidité de celles des exploitations actuelles avec les abreuvoirs automatiques. Pour le cheval, il en était de même, qui lui, se désaltérait lorsqu’il n’avait plus les harnais sur le dos, le midi ou le soir. L’eau puisée et transportée à bout de bras avec des seaux, les déplacements que ceux-ci exigeaient plusieurs fois par jour, nous apprenaient à être parcimonieux dans son utilisation.

 

La lessive était un travail harassant pour la maman. Le linge sale était mis à bouillir dans une lessiveuse en fonte dans un lieu qu’on appelait la buanderie : du savon de Marseille, une brosse et de l’huile de coude, le linge était frotté sur une planche à mi-hauteur pour le débarrasser de ses souillures, rincé ensuite dans l’eau propre, pour le petit linge, dans des seaux.

Pour le grand linge tel que les culottes d’hommes, draps et autre encombrants, le rinçage se faisait dans la rivière voisine au bas des coteaux. Le transport s’effectuait sur chemin piétonnier avec l’aide d’une brouette, La descente était aisée mais le rinçage dans l’eau froide, surtout l’hiver, était pénible. Ensuite, une corde attachée sur le devant de la brouette, une autre personne venait en aide pour la remontée. Quand nous, les enfants, avons eu de la force, nous étions sollicités à notre tour pour cette tâche, avec des arrêts pour reprendre souffle. Pour les adultes, ces occupations fatigantes avaient des conséquences sur les corps, vieillissement prématuré, rhumatismes etc..enfin beaucoup de douleurs souvent cachées par pudeur.

Paul Chevalier enfant à la Bréhardière, son cheval

Le départ pour les champs

Les travaux des champs

Les travaux des champs n’étaient pas de tout repos non plus, la mécanisation était inexistante, c’était soit avec les bœufs ou le cheval, parfois quand il y avait une grande surface à cultiver, une entraide entre voisins se faisait, où le prêt du cheval uniquement, à charge bien sûr d’une réciprocité quand ces dits voisins nous sollicitaient.

Les travaux importants tels que la récolte des foins et leur transport, ainsi que pour celle des blés, nécessitaient le concours de l’ensemble des hommes des femmes et des enfants qui commençaient à travailler, cela nécessitait d’avoir un bon esprit d’entraide sans tenir compte si l’un avait de plus grandes récoltes à faire. Le principal, c’était que chacun puisse avoir recours à son voisinage s’il était dans le besoin. Les gens qui avaient mauvais caractère pour entrer dans ce principe se retrouvaient vite isolés. Donc, chacun devait y mettre du sien pour ne pas se retrouver dans de plus grandes difficultés, autrement dit il fallait “mettre de l’eau dans son vin", en langage populaire. L’avènement du progrès dans le milieu rural, ce mode de vie fut propice à l’émergence de coopératives dans l’après-guerre.

Toutes les fermes avaient leur petit vignoble, pour leur consommation d’abord ; c’était aussi une source de revenus. Enfin, pouvoir offrir un verre à celui avec qui on travaillait ou qui rendait visite, c’était de bon augure. Cette convivialité n’était pas sans risque d’excès ; pour ceux qui avaient abusé dudit breuvage, ils ressortaient de la cave avec quelques hésitations dans la marche, on disait qu’ils avaient les “sabots ronds". La cave, c’était aussi le lieu où se concluait les transactions, ce que chaque fermier pouvait avoir à vendre des produits de son travail, veau, vache, vin etc…C’était aussi le lieu d’échange des nouvelles du pays où chacun exprimait, à tort ou à raison son avis, les difficultés qu’il rencontrait plus personnellement, échanges qui permettaient peut-être le réconfort ou la solution des situations difficiles. Le partage des joies et des peines n’était pas à dédaigner.

 

Les moyens de communications tels que téléphones, portables, n’existaient pas dans les campagnes, les informations se faisaient de vive voix ou par courrier, les postes de radio étaient rares ; pendant les hostilités, l’audition était très mauvaise.

1939-1945

A plusieurs reprises, j’ai parlé de la guerre dans notre environnement direct. (A la Bréhardière, ) nous n’avons pas eu à la subir, par contre Saint-Nazaire et ses environs eurent beaucoup à souffrir de l’occupation allemande, Nantes fut bombardé dans son centre , les ponts de Mauves, Thouaré, Oudon furent détruits ; ce dernier ne fut reconstruit dans son aspect actuel que bien des décennies après sa destruction.

Ce dont je me souviens bien, c’est d’avoir vu des soldats allemands bivouaquer dans un pré le long de la Divatte pendant plusieurs jours et y faire des manœuvres ; une sentinelle avait été placée non loin de là où nous habitions. Cet homme s’était familiarisé avec les parents, ma sœur cadette, âgée de 5 ans environ, avait été juchée par ses soins sur ses épaules, une jambe de chaque coté de son cou, ça s’appelait monter à caquelotte. Peut-être cet homme était-il papa aussi ? On ne le saura jamais.

Au cours de la présence allemande, la nuit tombée, aucune lumière, si faible soit-elle, ne devait paraître du coté qui faisait face à la Loire, un rideau noir était tendu sur une fenêtre située dans les conditions ci-dessus. Qu’elle en était la raison ? En tous les cas, cette habitude a subsisté bien des années après le départ des occupants allemands.

Autre souvenir : ce fut, un soir d’hiver, des tirs d’armes automatiques à longue portée depuis les coteaux du Cellier, sur la rive opposée de la Loire, par-dessus notre habitation, ceci pour ainsi dire, sans arrêt. Parmi les projectiles ordinaires, il y avait des balles traçantes qui permettaient de repérer la trajectoire, le sifflement et la luminosité produite impressionnaient fort. La durée de ces tirs, sans discontinuer, furent peut-être de quinze à vingt minutes ; la vraie raison, on ne l’a jamais sue, mais on peut invoquer celle d’épuiser un stock de munitions pour ne pas le laisser aux mains de l’adversaire, comme c’était peu avant la fin des hostilités.

Lors de la déclaration de l’armistice, au cours d’un après-midi, trois hommes en civil se présentent à la ferme pour demander où se trouvait le bourg de la Chapelle-Basse-Mer. Suite à l’indication donnée, ils prirent à notre étonnement, la direction du bourg de la Varenne. Peu de temps après, on vit le drapeau français flotter sur le haut de l’église de ce lieu, les cloches sonnaient à toute volée, indiquant ainsi la cessation des combats. On a toujours pensé que ces trois hommes étaient les messagers de cette nouvelle, venus hissés le drapeau, vu le point stratégique de cette église, pour les communes environnantes.

Dans les mois qui suivirent, ce fut le retour de ceux qui étaient prisonniers en Allemagne, certains avec des séquelles importantes, d’autres moins, selon leur condition de vie : travail en usine ou dans les fermes allemandes, mais la plupart étaient très amaigris par insuffisance de nourriture, d’autres ne reviendraient jamais, d’autres, ce sera dans un cercueil.

Après avoir relaté les origines de ma famille directe et plus ancienne, la situation et les conditions dans lesquelles j’ai pris racine, grandi jusqu’à ce que je rentre dans le monde des adultes, c’est-à-dire celui ou cessa celui de l’école obligatoire, le primaire, à l’âge de quatorze ans, des souvenirs ont refait surface, je n’ai pas voulu ou je n’ai pas cru bon de les exprimer, cela aurait été des bis-repetita au détriment de l’essentiel, celui qui m’a servi de base ou d’appui dans les années qui suivirent. Celles du début de la vie ont une importance beaucoup plus considérable que l’on imagine. L’origine familiale et ses corollaires, ainsi que les circonstances favorables ou non, ont des conséquences sur toute la vie qui s’ensuivra. Les dons innés de la divine Providence par l’entremise des générations précédentes, l’emploi qu’on en aura voulu ou su en faire, ainsi que notre propre volonté, seront d’une aide précieuse, à nous de savoir apprécier. 

 

Dans l’une des pages précédentes, j’écrivais que j’avais traversé la Méditerranée vers un port d’Afrique du Sud, maintenant ce sera vers un autre port qui n’est pas de ce monde mais bien réel dans mes convictions.

De ces années qui me furent données de vivre, je me dis et je l’ai souvent répété au sein de ma famille, j’ai eu beaucoup de chance, ce ne fut pas toujours facile tous les jours avec des échecs, des difficultés, des doutes, des erreurs, heureusement quelques réussites aussi. La volonté de m’en sortir malgré mes limites a fait que j’ai pu me tenir la tête hors de l’eau. Ce que je retiendrai de plus positif, c’est que parfois on m’a fait confiance là où je ne m’y attendais pas et j’ai eu à cœur d’être digne de cette confiance octroyée. Merci à la vie et merci à ceux qui m’ont permis de la vivre.

Suite à l’évocation de mes origines familiales, cette connaissance des générations dont je suis isssu, est le fruit de recherches en généalogie d’une cousine au deuxième degré : Michelle Goalec, née Gaudron. Son père, René Gaudron, avait pris pour épouse Suzanne Chevalier dont le père, Auguste, était frère aîné de mon grand-père, Baptiste.

Cette recherche très appréciable, sa documentation, soit photos ou descriptifs de générations remontant à la fin du XVIIe siècle sous le règne de Louis XIV, est une référence pour ceux qu’on appelle les petites gens, qui n’ont pas toujours le loisir d’en avoir la connaissance. Merci Michelle.

 

Là où je suis parvenu dans ces écritures, estimant qu’un témoin, comme dans une course à relais, m’avait été remis (le maillon de la chaîne), je laisse le soin à ceux qui le désireront de prendre la suite pour transmettre un héritage autre que matériel. De ce survol des générations, je n’en tirerai pas d’autres conclusions que celle-ci : dans la Grande Histoire, la petite n’apparaît guère ; ses auteurs n’avaient ni le temps, ni les moyens, ni les facultés de l’écrire. L’école n’était pas pour tous, ce qui ne veut pas dire qu’ils étaient dénués d’intelligence, ils avaient peut-être un savoir que les grands de ce monde ignoraient. Ceux qui faisaient la petite histoire pensaient peut-être de leur coté que tout le monde connaissait leur savoir. En résumé, leurs connaissances se transmettaient oralement, si le besoin s’en faisait sentir, avec les limites des relations entretenues dans leur environnement proche.

De cette succession de génération, au-delà des dates de naissances, lieux de vie, enfants professions et décès, rien n’a été transmis par écrit pour les raisons citées plus avant : absence de scolarité due souvent à la précarité, l’école n’était pas obligatoire, enfin pour des raisons autres, peu faciles à définir, avoir de l’instruction n’était pas dans les mœurs de ces familles souvent nombreuses. Il fallait entrer très tôt dans le monde du travail, les vicissitudes de tous ordres, qui faisaient partie de leur quotidien, n’étaient guère exprimées par ces gens aux origines modestes. Aussi, n’idéalisons pas trop le passé ; s’il y avait des périodes fastes pour les gens aisés, pour d’autres, leur existence n’était pas toujours enviable, ils n’étaient pas enclins à se plaindre sur leur propre sort, ce qui pouvait les qualifier de “taiseux".

De cette fin d’interprétation, pour conclure ces écritures, nul n’est obligé de la faire sienne.

 

 Mai 2018 

 

Notes : En saisissant le texte manuscrit, j’ai pu changer supprimer ou ajouter un mot (en italique) revoir la ponctuation pour une meilleure lecture. Mais il n’y avait presque rien à modifier. 

C’est un témoignage remarquable qui mélange, avec une grande précision d’écriture et quelques notes d’humour, souvenirs, évènements, situations et envolées philosophiques. 

Les sabots, le pain, l’eau, si précieuse, le feu, l’école au bourg et l’école de la vie, le travail à la ferme de la Bréhardière, la famille,  ….Des chapitres qui décrivent parfaitement la vie d’autrefois, sans nostalgie.

 Grâce à un tempérament battant, les difficultés et les souffrances ont été surmontées, laissant place avec le temps à la sérénité et la sagesse. 

Merci Paul, pour ce beau récit.

 

Michelle 24 /08/2021

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