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Le village de la Boire-d'Anjou 
en la Chapelle Basse-Mer

Journées du Patrimoine - 18 & 19 septembre 2010

Résumé de Yves Bernard Gasztowtt

1 - Situation du village

(En géographie humaine, on dit : hameau.)

 

 

Le village de la Boire-d'Anjou se trouve :

 

* à 3,5 km au Nord du bourg de la Chapelle Basse-Mer, en Loire-Atlantique, et à près de 3 km au Sud-Ouest de la Varenne, en Maine-et-Loire, en franchissant la rivière Divate par le pont des Millots.

* dans le lit majeur de la Loire, au confluent du Rez-Courant qui prolonge la rivière Divate et de la Boire-d'Anjou qui mêlent ici leurs eaux et rejoignent ensemble le lit mineur de la Loire, 500 m en aval.

* à la frontière des deux communes et des deux départements déjà cités. Cette frontière  est chargée d'histoire.

 

II- Boire d'Anjou et Rez-Courant

 

En géographie physique, le lit majeur est celui que le fleuve occupe lors de ses plus hautes crues. Le lit majeur de la Loire inclut donc tout le Val-Nantais, qu'on appelle ici la Vallée, entre la rivière Divate, à l'amont et la Goulaine, à l'aval sur 14 km.

 

Jusqu'en 1872, le village de la Boire-d'Anjou est plus souvent nommé Rez-Courant. Mais, Boire-d'Anjou s'impose alors au cadastre de la commune de la Chapelle Basse-Mer. Ces deux noms montrent les liens du village aux deux cours d'eau qui s'y rejoignent et l'hésitation à le nommer par l'un plutôt que par l'autre.

 

1 - La Boire-d'Anjou

Une boire est un bras de Loire, parfois réduit à une simple mare dans le lit majeur du fleuve. La boire d'Anjou résulte du confluent, en amont de la Varenne de la Boire-de-la-Bridonnière et de la Boire-Chapoin. Pour l'hydrographie, la Boire-Chapoin et sa suite, la Boire-d'Anjou forment le seil (voir III) du ruisseau du Voinard qui baigne le pied Sud de Champtoceaux. Une carte du 21 novembre 1777 montre que la Boire-d'Anjou s'appelait alors la Boire-Chapoin. En effet, à un kilomètre du village, la forteresse de l'Epine-Gaudin, construite peu après 942, s'est appelée au XIVe siècle l'Epine-Chapouin, déformation, semble-il, de chapelain et de Chapelle Basse-Mer. Cette forteresse laisse un autre héritage : la boire Saint-Nicolas qui relie la Boire-d'Anjou et le village de Chapoin, au chenal de la Loire porte le nom de la léproserie, fondée vers 1360 par l'écuyer Raoul de l'Epine-Chapoin et confié aux bénédictines de Sainte-Radegonde. Cette léproserie, établie sur l'île Dorelle, était dédiée à Saint Nicolas, patron de l'église paroissiale du bourg fortifié qui se confondait avec la forteresse.

 

2 - Le Rez-Courant

Cet ancien nom du village désigne le bras qui prolonge la rivière Divate dans le lit majeur de la Loire. En effet, avant 1856 où s'achève la construction de la “Levée de la Divate à Saint-Sébastien”, en pénétrant dans ce lit majeur, la Divate se divisait en deux bras : le Rez-Courant et le Seil-de-Divate, étudié plus loin. Cette division est le comportement habituel des affluents des fleuves dont le lit majeur est trop grand pour leur débit moyen, car il a été creusé par un fleuve plus puissant qui a précédé la Loire, sous un climat beaucoup plus humide.

 

De ces deux bras de la rivière Divate, le plus fort est le Rez-Courant. Avant 1856, il recevait déjà la plus grande part des eaux de la Divate. Depuis 1856, il les reçoit toutes, et les conduit au chenal en leur faisant traverser une partie du lit majeur de la Loire.

 

Ce nom de Rez-Courant redouble le mot : courant par son ancien équivalent : rez, variante de raz, qu'on trouve dans Pointe-du-Raz et raz-de-marée, emprunté à la langue scandinave des Normands vikings. Rez a été influencé et même souvent confondu avec : raie provenant du latin médiéval origa (VIIe siècle) et même du gaulois orica signifiant ligne, sillon, tranchée ouverte par le soc, c'est-à-dire partie en creux du sillon de labour.

 

Le Rez-Courant est, comme la Loire jusqu'à Ancenis, affecté par la marée et donc animé d'un flux et d'un reflux ou au moins d'un ralentissement. Re est le préfixe qui exprime, justement, la répétition, le retour, la reprise, et Rez a donc cette connotation de mouvement d'aller et retour.

 

Carte postale ancienne de la Loire à la Boire d'Anjou

III- Le Seil-de-Divate, voie navigable centrale de la Vallée

 

1 - Définition du Seil-de-Divate

Le Seil-de-Divate était, avant 1856, le second bras, plus faible, de la Divate. Il demeure le filet d'eau du pied de coteau de la Loire qui marque la limite de son lit majeur. Il s'étoffait et gonflait ses eaux quand le Rez-Courant refluait et s'inversait sous l'effet des crues ou de la marée montante.

 

Faute de nom local, nous lui donnons ce vieux nom commun de seil, employé à Nantes et à Rezé pour le Seil-de-Sèvre, avant que ces seils soient comblés. Il subsiste un seil à l'Est du bourg de Sainte-Luce-sur-Loire, c'est donc un nom usité en pays nantais. Sorti d'usage comme nom commun au XVIe siècle, il venait du latin : situla qui a aussi donné seille (seau, baquet). Roger Dion le modernise en : “sillon latéral” (Histoire des levées de la Loire, p. 252).

 

Depuis 1856, la “Levée de la Divatte à Saint-Sébastien” sépare le Seil-de-Divate de la rivière Divate qui ne peut plus l'alimenter, sinon sous la levée par infiltration dans le sable poreux. Le Seil n'est plus guère abreuvé et presque immobilisé à son départ. Mais il subsiste puisqu'il reçoit les eaux de toute la vallée, inclinée vers lui (voir IV, 1) et des coteaux compris entre Divate et Goulaine. Depuis un siècle et demi, sa canalisation a réduit les boires qu'il traverse, leurs ressources de pêche et leur diversité biologique.

 

2 - Parcours du Seil-de-Divate

Le Seil-de-Divate alimentait la Fosse-des-Œillards (trou ou œil au centre d'une meule 1775, ocullard 1554 - DHLF, p. 1356) puis la Boire-du-Champ-Blond (Champ de manœuvres et de batailles des seigneurs, au pied de l'Epine), la Boire-Livard, le Marais-du-Chêne, la Boire-de-la-Roche et rejoignait la Goulaine aux Divettes. Ce dernier nom rappelle fortement la relation de la Divate et de son Seil, et la pertinence des anciens noms de lieux.

 

En rive droite, le Seil reçoit les étiers, longtemps ouverts sur le chenal de la Loire, par exemple, l'étier de la Noue (Norestier) relié à la Loire à la Passe-Pinière (passe, passage des bateaux en bois de pin) ou la Boire-de-la-Chabotière (cabotage) et à gauche, les ruisseaux dévalant le coteau, par exemple, le ruisseau de la Noue, au Guineau (gué de la Noue).

 

Le Seil-de-Divate et ses étiers affluents se sont lentement colmatés. Depuis 1856, l'intervention humaine a accentué ce colmatage et réduit leur surface au sol, sans souci des ressources de brochets, anguilles, grenouilles et de toute la diversité biologique qu'ils contenaient et qui faisaient la réputation gastronomique du pays.

 

3 - Le couplage du rez et du seil, loi de l'hydrodynamique fluviale

La toponymie locale vérifie la loi du couplage du rez et du seil par les noms composés : Seilleraie et Reddesail. 

 

a -  Entre Mauves et Thouaré-sur-Loire, la Seilleraie, au confluent de la Chalandière (ou Gobert) et de la Loire, est connue par son magnifique château classique. Le rez qui traverse la prairie de Mauves jusqu'à Port-Potiron n'est plus guère actif, mais le seil, nommé Boire-de-Mauves, rejoint le fleuve à Thouaré.

 

b -  A Rezé, un acte de 1226 mentionne le Reddesail au confluent du seil et du rez de la Sèvre. (M. Kervarec - Terroir et Moyen-Age au Pays Nantais, p. 54,58). Ce rez n'a pas reçu ce nom ou on l'a perdu.

 

c -  Enfin, l'île de la Chênaie qui porte les ponts de Thouaré s'appelait le Redreczail. Ici les noms de rez et de seil ne peuvent désigner que les deux bras de Loire qui embrassent l'île, le rez plus fort au Sud, le seil plus faible au Nord. Ici  l'affluent de la Loire est la Loire elle-même, si l'on admet, qu'au fond, un fleuve qui coule est bien l'affluent de lui-même. Cet exemple curieux n'est pas une exception mais une remarquable confirmation du couplage du rez et du seil. 

 

4 - Importance économique du Seil-de-Divate

 Certes, la Loire est la principale voie d'accès historique de l'Atlantique vers le centre et l'Est de la France. Ce n'est pas une raison pour méconnaître l'importance du Seil-de-Divate pour la Vallée. Il en constituait l'épine-dorsale autonome vers Nantes, prolongé à ses deux bouts par le Seil-du-Voinard qui baigne le Sud de Champtoceaux et le Seil-de-Goulaine qui conduit à Nantes. Ni l'un ni l'autre ne portent réellement ces noms. Le premier s'appelle d'abord la Boire-de-la-Bridonnière, puis la Boire-d'Anjou, le second, au pied de Saint-Sébastien, s'appelle le Boireau. Ensemble, ils permettaient de joindre Champtoceaux à Nantes sans les risques du chenal mouvementé du fleuve. La Goulaine y greffait une branche navigable au débouché des Marais de Goulaine, et la Divate une autre branche navigable. Une petite batellerie de cabotage (mot d'où viennent la Chebuette et la boire de la Chabotière), constituée de coureaux, de plates, de barques à fond plat, y voiturait les denrées de la Vallée et des Marais de Goulaine par une voie autonome, indépendante du chenal de la Loire.

 

 

IV- Le village de la Boire-d'Anjou, buté sur le bourrelet de rive de la Vallée

 

1 - Les dépôts alluviaux forment des îles, un bourrelet, une vallée émergente 

Un cours d'eau dépose sa charge d'alluvions dès que son courant ralentit et que sa compétence diminue. Les rivages, les bords du fleuve produisent des turbulences et agitent l'eau. C'est donc au centre du lit que se produit surtout le dépôt. Des têtes d'îles se forment et émergent au milieu du fleuve, s'étoffent et tendent à se rejoindre et à se souder en bourrelet continu. Ce bourrelet où s'alignent les points les plus hauts du lit majeur seront utilisés pour l'établissement humain qui colonisera toute la vallée, et pour tous les ouvrages de protection, jusqu'à la levée de 1856.

 

Le fleuve se trouve alors divisé en deux bras. Le plus lent se colmate plus vite et leurs destins divergent. Le premier bras se transforme en une terrasse, inclinée vers les coteaux. Le second bras devient le chenal navigable, plus rapide. Entre les îles, des passages d'eau subsistent longtemps : les étiers qui, à leur tour, tendent à se colmater. Un seil subsiste toujours, au pied du coteau, dans l'enfilade des points bas.

 

En Loire, la vitesse de sédimentation a varié. Depuis le néolithique (environ - 5000 av. J-C.), elle a beaucoup augmenté à cause des cultures et des défrichements de tout le bassin du fleuve, qui déstabilisent le sol. En 7000 ans, 20 cm par siècle donnent 14 mètres d'un dépôt qui atteint peut-être, en Vallée, 25 mètres en moyenne avec des variations considérables.

 

2 - La colonisation de la Vallée 

Dès leur émersion, aux maigres du fleuve, plus longs de siècle en siècle, les terres de la Vallée attirent par leur fertilité renouvelée à chaque inondation. Les troupeaux y sont d'abord envoyés paître. Elles restent sous forme de “commun” jusqu'au XIXe siècle. Mais elles invitent à la culture, à un habitat temporaire, puis à une colonisation à demeure. Le nom latin : Pré-Colès (pré habité et cultivé, colonisé, voire : lieu qui précède cet établissement) montre que la colonisation agricole a commencé quand on parlait encore latin, au Ve siècle. 

 

Dès l'époque gallo-romaine, la Vallée a pu être colonisée sur ses points hauts. Puis du Ve au XIe siècles, une montée de niveau du fleuve qu'étudie Roger Dion (Histoire des levées de la Loire, p. 92) interrompt cette colonisation. Un tel enchaînement d'événements peut expliquer que le Pré-Colès garde un nom gallo-romain.

 

Près de la Boire-d'Anjou, on rencontre d'autres noms du bourrelet de rive : Les Hauts-Tertres, le Port-Moron (moraine, c'est-à-dire tertre, éminence). Cette tête de vallée, d'altitude 8 m, est indiquée par la Haute-Vallée. Elle a émergé plus tôt ou plus vite que la Queue-de-Vallée d'altitude 4 m, où on trouve aussi la Vallée-Blain (limpide, en gaulois : glanos) qui indique que la Goulaine, à l'issue du marais qui décante les eaux, est moins trouble et moins chargée de sédiments que le Seil-de-Divate alimenté par des coteaux plus proches.

 

3 - La construction en Vallée 

Pour échapper aux crues annuelles, les habitations sont construites d'abord sur les points hauts du bourrelet naturel encore surélevés de buttes ou tertres artificiels. Ce n'est que lorsque des chaussées ont été lancées à travers la vallée pour la franchir que des tertres ont pu s'étendre derrière ces chaussées et accueillir des habitations nouvelles. Ainsi le gué de Loire antique de Pierre-Percée (la percée de pierre traversant le fleuve) est desservi par la chaussée surélevée le long de laquelle sont nés les villages butés de l'Artuzière (article, espace étroit) et du Bois-Viaud (bois de la voie).

 

A la Boire-d'Anjou, le tertre, au talus dallé, est bien visible et les maisons qui l'occupent sont  construites côte-à-côte pour gagner de la place en rationalisant l'organisation de l'espace par un savant alignement dans le sens des courants de débordement dominants, c'est-à-dire le sens de la résultante de l'addition vectorielle des forces du Rez-Courant et de la Boire d'Anjou.

 

4 - Des turcies isolées aux chaussées continues

 Autour des maisons isolées, puis des villages de quelques maisons, on élevait des barrages de défense en terre armée de branchages, des « fascines maintenues par des bâtis de pieux ». (R. Dion - Id -, p.120) Ce sont les turcies, comme on l'écrit au XIVe siècle, d'un mot provenant de torsies et torchis. « Ces levées se font ordinairement de claies et de terre ou de fagots entremêlés comme les bâtiments de torchis ». (Dictionnaire de Trévoux - 1752) Ces barrages ne visent que les crues moyennes, car contre les plus hautes, la tradition enseigne qu'il n'y a pas d'esquive.

 

La tradition paysanne ne souhaitait d'ailleurs nullement se priver du dépôt régulier de limons fertiles sur les gaigneries (labours gagnés sur l'eau ou, par ailleurs, sur la forêt et la lande comme à Gaigné, à l'Est de la Varenne, surplombant la Divate).

 

Un chemin de rive, appelé aussi chaussée (les Chaussins, le Haut-Chaussin, le Chaussin-Riou : chaussée du ruisseau) levée ou marchepied, relie les points hauts habités. On voit qu'entre le chemin de passage et la défense contre l'eau, la distinction n'est pas facile.

 

Le combat contre le fleuve, incessant et coûteux est, à la Chapelle Basse-Mer, bien documenté au XVIIIe siècle. En 1783, la chaussée du Port-Moron à la Boire-d'Anjou est emportée. En 1788, toutes les chaussées sont emportées. (R. Secher : Anatomie…, p. 222)

 

5 - La levée insubmersible 

Ce combat conduit à la construction de la « levée insubmersible de la Divatte à Saint-Sébastien », son nom officiel et explicite, de 1847 à 1856, après l'inondation foudroyante de 1846, par le syndicat de trois communes : la Chapelle Basse-Mer, Saint-Julien-de-Concelles et Saint-Sébastien. C'est un triomphe des propriétaires sur le fleuve, vite contrarié par la rupture de la Levée, à Saint-Simon en 1856, et l'inondation de toute la Vallée. La digue vite réparée, le Val-de-Divate devient progressivement un polder, mot néerlandais désignant un marais littoral endigué et asséché. En effet, les étiers, les boires, les marais pleins de vie sont réduits, comblés, les voies d'eau calibrées, parfois déplacées, deviennent des “canaux” comme s'ils étaient artificiels comme le canal de Montru, vraiment créé par l'homme, dans les Marais de Goulaine. A Nantes, en ville, on en fait autant. Elle perd son titre de Venise de l'Ouest.

 

6 - Les origines du gouvernement souple du fleuve

Après 1856, l'ingénieur Comoy dirige les études visant à arrêter un plan de défense contre les inondations de la Loire et montre que surélever ses digues, comme on le faisait jusque là, augmente la hauteur des crues. Si on protège les vals des crues ordinaires, on prépare la catastrophe quand viendra une crue extraordinaire. « C'est la pensée de Comoy qui, de nos jours encore, régit les levées de la Loire…[Elle] marquait une orientation nouvelle. Les ingénieurs se donnèrent désormais pour tâche d'atténuer l'excessive et dangereuse contrainte opposée à l'expansion naturelle des hautes eaux, tout en évitant de léser trop gravement les intérêts placés depuis des siècles sous la protection des digues ; difficile problème dont la solution reste encore de nos jours imparfaite ». (R. Dion - Histoire des levées de la Loire, p. 227-9)

 

Ne pouvant évidemment supprimer des digues derrière lesquelles sont installés des populations et leurs biens, ne pouvant pas plus les surélever et aggraver le risque, on se contentera désormais d'atténuer le danger, d'étaler le fleuve, de ménager des surfaces où il puisse s'étendre. Après trois ou quatre siècles de tentatives de domptage, dans la logique de rendre “l'homme comme maître et possesseur de la nature” (Descartes), pour asservir la nature par la technique, le fleuve par la digue, Comoy annonce la conversion, encore inachevée, au principe de composer en douceur avec la puissance du monstre.

 

V- Le rôle actif de la Divate dans le lit majeur de la Loire

 

 

1 - La levée artificielle a pour but de mieux séparer le chenal de la Vallée 

“La levée de la Divatte à Saint-Sébastien”, selon son nom complet, a été érigée de 1847 à 1856, sur le bourrelet de rive, c'est-à-dire la levée naturelle dont nous avons expliqué la formation en IV, 1. Cette levée artificielle renforce la séparation du chenal et de la terrasse qui forme la Vallée agricole voisine. Pour défendre cette terrasse contre les débordements du fleuve, le plus simple et le plus facile était évidemment de surélever le chemin de rive que le fleuve avait lui-même déjà construit sur sa berge.

 

Mais, contrairement à Saint-Sébastien et à Saint-Julien, à la Chapelle Basse-Mer, la levée naturelle n'est pas appliquée contre le chenal car d'autres phénomènes naturels, on va le voir, ont modifié et compliqué ce dispositif.

 

2 - L'ensablement de la Boire et du Port-de-Saint-Simon

En effet entre Pierre-Percée et la Boire-d'Anjou, la Levée laisse en dehors d'elle et sans protection une seconde terrasse plus au Nord-Ouest. Cette seconde terrasse s'appelle encore l'Ile-Barre, mais n'est plus réellement une île car elle s'est accolée à la première terrasse que nous venons d'évoquer, par l'ensablement de la Boire-de-Saint-Simon et de son port, conduisant au déclin, et finalement à la mort de ce port, avant 1682 (selon Mathurin Forestier dans les explications de ses cartes de 1765 et 1777) probablement vers 1650.

 

Le Port de Pierre-Percée a alors pris le relais de Saint-Simon. Ce glissement portuaire vers l'aval a consisté à éloigner le port du confluent de la Divate et de la Loire.

 

En somme, de Pierre-Percée, à la Boire-d'Anjou, la Vallée n'est pas entièrement protégée par la Levée dans toute sa largeur, comme c'est le cas à Saint-Sébastien et à Saint-Julien-de-Concelles. L'Ile-Barre s'est accolée à la première terrasse et forme une seconde terrasse qui reste à l'extérieur du bouclier protecteur de la Levée.    

 

3 - A la Chapelle-Basse-Mer, la Vallée comporte trois terrasses successives 

Quand on traverse la Vallée d'un coteau à l'autre, par exemple du Chêne-Vert à Mauves, on traverse successivement trois terrasses alluviales.

 

1ère terrasse : la Vallée protégée par la Levée, du Chêne-Vert à la Levée elle-même, c'est-à-dire à la Pinsonnière, à l'entrée de la ligne des Ponts-de-Mauves. C'est le polder agricole.

 

2ème terrasse : la Vallée exposée à la Loire, car elle reste en dehors de la Levée. C'est l'Ile-Barre qu'on traverse entre les deux Ponts-de-Mauves

 

3ème terrasse en formation : la grève aujourd'hui végétalisée, qui s'étend en amont du grand pont de Mauves. Voici un demi-siècle, cette grève montrait une étendue d'un étincelant sable doré. Des alluvions, formées de vase, de boue et de sable, l'ont recouvert, ont nourri une végétation et ont formé un sol qui accélère l'exondation de cette terrasse.

 

4 - Le rôle actif de la Divate

 Pourquoi à la Chapelle-Basse-Mer, la Vallée qui se limite, partout ailleurs, à une seule terrasse en présente-t-elle trois, dont une en formation sous nos yeux ? Pourquoi l'ensablement a-t-il condamné le port de Saint-Simon et rattaché l'Ile-Barre au reste de la Vallée ? 

 

a - La Divate pousse la Loire vers la falaise de Mauves

Quand elle  passe au confluent de la Boire-d'Anjou, l'eau du chenal de la Loire reçoit une poussée latérale de direction Nord-Ouest de la part de l'eau de la Divate, qui la dévie légèrement vers cette direction. Cette caresse contribue ou même suffit à décaler le courant de la Loire vers sa rive droite, c'est-à-dire la queue de l'Ile-Neuve, au Sud du confluent de la Boire du Cellier et au-delà vers la falaise de Mauves dont elle lèche les pieds, et où la force du courant empêche toute île de se maintenir Le chenal se confond là avec le seil de rive droite.

 

b - La Divate a contribué à ensabler la boire de Saint-Simon et son port

En faisant ainsi un détour sur sa droite, la Loire s'alanguit sur sa gauche. Autant elle est rapide et turbulente au pied de la falaise de Mauves, autant elle est lente et tend donc à déposer des alluvions sur les terrasses qui font face. Ainsi s'explique la formation de l'Ile-Barre, puis, voici quatre bons siècles au moins, le colmatage de la Boire et du Port de Saint-Simon, et par conséquent l'accolement de l'Ile-Barre à la première terrasse pour en former une seconde.

 

Toutes ces alluvions appartiennent certes à la Loire, mais il est évident que la Divate lui fournit une injection fraîche de nouveaux matériaux aussitôt réutilisés.

 

c - La Divate contribue aujourd'hui à la formation de la troisième terrasse

La formation en cours de la troisième terrasse s'explique par les mêmes causes que l'ensablement de la Boire et du Port de Saint-Simon. Ce n'est  que la continuation du même processus, légèrement décalé du fait que l'Ile-Barre a atteint une hauteur telle qu'elle n'est plus guère accessible et inondée qu'à de rares grandes crues.

 

La troisième terrasse en formation a déjà émergé depuis longtemps car elle se formait déjà lors de la formation et l'achèvement de l'Ile-Barre. Les épis construits artificiellement ne peuvent qu'accélérer ce processus naturel, mais ne peuvent être tenus pour sa cause.

 

Le rôle de la Divate, dans tous ces phénomènes, est actif auprès de la Loire. Elle modifie sa direction et lui livre des alluvions fraîches immédiatement utilisables.

 

 

VI- Le port de la Boire-d'Anjou abrite deux batelleries

 

 

1 - Les caractères du port

La vocation de la Boire-d'Anjou est portuaire et non agricole. La Levée, achevée en 1856, a confirmé ce destin car le village a alors été laissé au dehors de ce bouclier des terres vouées désormais à l'agriculture et plus tard au maraîchage. Un destin agricole, auquel elle ne prétendait pas, lui a alors été fermé symboliquement. Ses abords, en contrebas de la Levée, sont longtemps restés des prés bas inondables, même si, depuis quelques temps, on y risque des cultures. Comme le village du Moulin-de-l'Ile, les abords du village sont restés dans la Loire, sans accéder à l'état de terre protégée.

 

Serré de près par la Levée, le site du village est coincé entre cette Levée et l'angle droit que forme le confluent du Rez-Courant et de la Boire-d'Anjou. Les rives de ces deux cours d'eau constituent ce que les mariniers appellent des chantiers : des berges élevées au bord d'un courant qui les ronge en formant une sorte de quai naturel où les bateaux peuvent accoster. A la différence des ports établis au bord du chenal, à la Boire-d'Anjou, le mouillage est abrité, puisque le port est en retrait de 500 mètres environ du chenal rapide du fleuve. Certes, l'eau du port, animée par le Rez-Courant, la marée, les crues et les décrues, est rarement immobile, mais elle coule moins vite et moins fort que celle du chenal.

 

2 - La marine de Loire

 La Boire-d'Anjou accueille ce qui subsiste d'une marine de Loire millénaire et glorieuse comme le faisaient tous les ports bordiers du chenal. Ses chalands qui ne pouvaient le quitter que grâce au flux de la Divate reliaient les ports au fil de l'eau : la Chebuette, Pierre-Percée, Port-Potiron, Mauves et les villes portuaires : Ancenis, Angers, Tours, Orléans, plaque tournante de cette marine, Nevers et même Montluçon, et bien sûr, Nantes que la marine de mer ne peut dépasser, même avant la création du pont de Pirmil en 1260 par le duc de Bretagne Jean le Roux, après des millénaires de franchissement de la Loire à gué.

 

3 - La batellerie des seils et des étiers

La Boire-d'Anjou accueille traditionnellement la petite batellerie locale. Jusqu'au XIXe siècle ses barques plates de toute taille, à faible tirant d'eau, menées par quelques professionnels mais surtout par des paysans, relient les bords des étiers et des seils, les villages et les ports du pied des coteaux de la Loire et ne s'aventurent guère dans le chenal du fleuve.

 

Grâce à la continuité des Seils de la rive gauche du fleuve, le réseau d'eau s'étend du pied de Champtoceaux aux Marais de Goulaine et à Nantes où elle trouve un marché avide de ses excédents. Ce réseau n'est guère pensé comme une unité par ses utilisateurs à cause d'obstacles comme les pêcheries de Saint-Julien-de-Concelles détruites en 1747 (Concelles signifie écluse et par conséquent barrière). Ce réseau dessert les prés bas et évacue les foins à la grange voisine, le bois de chauffe tiré des émondes, abondantes en Vallée. Au marais, les plates voiturent la rouche des roselières. Cette batellerie est au service d'une économie de vallée qui a ses denrées propres, vit d'élevage, de pêche et de chasse au rythme du niveau des eaux, et des saisons plus ou moins régulières qui couvrent et découvrent la plus grande partie de la Vallée. De l'automne au printemps, quand il ne gèle ou ne vente pas, on accède à peu près partout. Aux maigres, le réseau se rétrécit et il faut se contenter des voies d'eau pérennes. Par sécheresse prolongée, on ne circule plus.

 

2023 créé par Pierre Gallon et Pierre Saunière        contact : patrimoinechapelain@gmail.com

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